L’implication des partenaires sociaux dans le processus du référencement du CEC

L’implication des partenaires sociaux et des employeurs européens dans le processus de référencement du Cadre Européen des Certifications : quelques réflexions d’un participant à la conférence du CEC de Budapest (Mai 2011)

La conférence de Mai 2011 à Budapest a fourni de fructueuses occasions d’échanges entre les représentants des autorités nationales, les autres organisations compétentes et les partenaires sociaux des pays membres. En Février 2006, la même ville avait hébergé la conférence « de la consultation à la recommandation », qui a constitué le véritable lancement du projet du CEC. Loukas Zahilas (désormais au CEDEFOP), qui rapportait pour le compte de l’atelier N°3 de cette conférence, intitulée : « quels principes et critères communs faut-il mobiliser pour relier au CEC les systèmes et les cadres des certifications sectorielles ? » écrivait à cette occasion : « nous recommandons fortement de créer (là où ce n’est pas déjà en place) ou de renforcer les liens entre les cadres nationaux et les certifications sectorielles du même pays. Une suggestion pratique : l’élaboration par les acteurs sectoriels » de standards communs en termes de process fondés sur les acquis de l’apprentissage. »

La Recommandation du Cadre Européen des Certification, dans son texte définitif, insiste sur l’importance des apports sectoriels : « Le cadre européen des certifications devrait, par ailleurs, permettre aux organisations sectorielles internationales d’établir des correspondances entre leurs systèmes de certification et un point de référence européen, et donc de montrer la relation entre les certifications sectorielles internationales et les systèmes de certification nationaux. »

Deux ans plus tard, la conférence européenne de Juin 2008 à Bruxelles (« conférence de mise en œuvre –« implementation conference ») concluait, au terme d’un atelier portant sur le même thème : « il faudrait encourager une coopération entre les secteurs et les autorités nationales, basée sur un usage commun de la terminologie du CEC et sur l’assurance qualité. À chaque fois sue cela est approprié, nous devrions travailler ensemble pour trouver un accord sur des interprétations sectorielles des descripteurs de niveaux. Plus l’implication des acteurs concernés sera constante, moins il y aura, ultérieurement, de problèmes à résoudre.

Ces déclarations ouvraient la voie à plusieurs pistes d’action :

  • La création et la reconnaissance de certifications sectorielles ;
  • La création de standards communs entre les cadres nationaux et les certifications sectorielles ;
  • Une coopération entre les secteurs et les cadres nationaux quant au référencement des descripteurs de niveaux, et de surcroît, quant à leur interprétation.

L’atelier traitant de ce thème à la conférence européenne de Budapest en mai 2011, rassemblant plus de 50 participants représentant un large éventail de pays, s’est focalisé sur la nécessaire coopération entre les différents acteurs, dérivant de l’expérience de ces dernières années, consacrées à faire progresser le cadre européen et les cadres nationaux.

La nécessité de relier le monde de l’éducation et le monde professionnel

Cet objectif apparaît nécessaire à plusieurs niveaux :

  • La « société de la connaissance » requiert une mise à jour fréquente des compétences : requérir « des compétences nouvelles pour des métiers nouveaux » engage les entreprises et les professionnels à identifier les compétences et à les mettre en relations avec des profils de poste régulièrement mis à jour ;
  • La mobilité professionnelle, d’une entreprise à une autre, d’un secteur à un autre, et d’un pays à un autre, renforce l’importance pour l’individu de disposer d’une monnaie d’échanges partagée de ses savoir-faire et de ses compétences ;
  • La formation tout au long de la vie est une réalité. La formation initiale ne suffit pas à fournir aux individus les compétences dont ils auront besoin tout au long de leur vie professionnelle. La formation des adultes, l’accès à des compétences et à des certifications nouvelles, à tout âge, est le minimum pour faire face aux défis sociaux et économiques ;
  • La formation des adultes demande des outils et des pratiques destinées à enseigner, contrôler et certifier, qui répondent aux besoins des employeurs. Ce qui rend nécessaire l’adaptation des systèmes de formation initiale, l’ouverture de l’enseignement supérieur à un enseignement basé sur les compétences, et, au minimum, une forte coopération entre les acteurs économiques et académiques ;
  • La notion d’« acquis de l’apprentissage » est incontournable car elle est centrée sur l’apprenant, se focalise sur des résultats de l’apprentissage, visibles et intelligibles par les entreprises, ainsi que l’écrivait le Livre blanc sur l’Education et la formation de 1995 (p 7/8) : « La méconnaissance des différents systèmes nationaux fait que l ’employeur potentiel est perplexe lorsqu’il lui faut évaluer le niveau réel de compétence d ’un postulant ».

Différents niveaux de difficultés

Bien que nécessaire, la coopération entre les cadres nationaux, les partenaires sociaux et les secteurs reste encore souvent embryonnaire. Les pays qui ont une longue tradition de ce type de coopération y trouvent moins de difficultés.

On peut considérer différents niveaux de difficultés :

  • Au niveau politique, on rencontre parfois une forte opposition des autorités nationales à quelque autre forme de coopération avec les professionnels qu’un rôle consultatif « allégé ». De leur côté, les partenaires sociaux se focalisent sur l’emploi et les conditions de travail et considèrent comme secondaires leur éventuelle implication dans les cadres des certifications ;
  • Au niveau organisationnel, sous l’influence des ministères en charge de l’Éducation, l’attention se focalise sur les standards de la formation initiale et sur le dialogue – parfois difficile – entre les composants des différents systèmes et sous-systèmes (enseignement général, enseignement professionnel, enseignement supérieur). Ce qui conduit à faire sortir du cadre de visée le véritable objectif – fournir aux employeurs les compétences dont les entreprises ont besoin.. D’un autre côté, la difficulté que peuvent éprouver employeurs et salariés à proposer conjointement des solutions aux autorités nationales, ou même à coopérer à la construction de certifications professionnelles, accroit la difficulté pour les autorités nationales à identifier des partenaires potentiels crédibles ;
  • À un niveau plus pratique, négocier et coopérer suppose des définitions et des outils partagés. Depuis le lancement de la stratégie de Lisbonne, un énorme travail de clarification a été réalisé. Les Points Nationaux de Référence, les Acquis de l’Apprentissage, l’Europass, les ECVET, etc. .. sont des terminologies partagées par une majorité d’acteurs. Néanmoins, ces mêmes terminologies trouvent, au niveau national ou local, des usages et des significations différents. Il est très tentant d’adapter les termes à la réalité locale, plus que de faire évoluer la réalité elle-même. D’où l’utilité des projets européens de coopération. En rester à une panoplie réduite d’outils simples et clairs (tels que les niveaux de référence du CEC) est une nécessité pour éviter la dispersion.

Quelques suggestions de pistes pour la Coopération à venir

Le dialogue entre les experts en éducation et les professionnels des ressources humaines est un facteur-clé de succès pour toute coopération. La réalité est que ces deux groupes parlent deux langages différents, même quand ils utilisent des termes communs, comme celui de « compétence ». il est impossible d’utiliser la même terminologie pour les acquis de l’apprentissage et pour les référentiels professionnels. Les « acquis de l’apprentissage » renvoient à l’aboutissement d’un processus formatif, quand les référentiels métiers renvoient à des compétences contextualisées. La référence commune devrait ainsi être plutôt l’ « activité » que la « compétence ». Un professionnel peut ainsi identifier l’activité qu’un diplômé peut exercer dans l’entreprise ; l’expert en éducation en déduira les acquis de l’apprentissage qu’il lui faudra attester, et l’expert en ressources humaines les compétences requises. À cet égard, « l’autonomie et la responsabilité »  en tant que descripteurs du CEC, ne sont pas des « compétences professionnelles » au sens où l’entend l’’entreprise, mais flèchent le type d’activités qui peut être exercé en fonction du niveau. Les descripteurs des référentiels métiers et ceux utilisés dans des certifications fondées sur les acquis de l’apprentissage sont tous les deux d’utiles instruments de dialogue. Mais on ne devrait en attendre des correspondances biunivoques.

Le dialogue entre les partenaires sociaux et l’enseignement supérieur est également vital : au cours des 20 dernières années, les minimums requis en termes d’éducation se sont souvent hissés au niveau de l’enseignement supérieur. Les descripteurs de Dublin (qui identifient les grades de Licence, Master et Doctorat), sont basés sur les ressources mises en œuvre et font ainsi référence à la charge de travail, au niveau des enseignants et de leur activité de recherche et pas directement aux acquis de l’apprentissage. La coopération entre les représentants des secteurs et l’Enseignement supérieur devrait être plus intense, à commencer par ceux des diplômes ouverts aux adultes, faisant référence dans leurs dispositifs de certification aux acquis de l’apprentissage.

Les organisations professionnelles, les branches et les partenaires sociaux en tant que tels, devraient faire le premier pas, non pas en montant des « lobbies » auprès des autorités européennes ou nationales, mais en représentant, dans le champ de l’éducation, et d’une façon organisée, les intérêts économiques et sociaux de leur domaine auprès des autorités nationales. Les branches professionnelles, employeurs et salariés, devraient coopérer avec les organisations professionnelles transverses (les « secteurs professionnels »), éventuellement moins formellement représentatifs, mais qui se trouvent souvent plus préoccupés des besoins de la profession, de ses évolutions et des certifications qui y préparent.

Les autorités nationales et les secteurs devraient tous deux prendre sérieusement en compte les processus qualité. Il faudrait utiliser systématiquement les outils existant dans ce domaine (ENQA-VET, EQARF, …). La confiance, au niveau européen,  repose sur la transparence et l’utilisation de standards de qualité partagés par tous.

Depuis la conférence de Budapest, des initiatives, telles que ESCO, ont vu le jour. Un dialogue s’est instauré entre les trois DG concernées (Education, emploi, Marchés intérieurs). Un tel dialogue est important pour clarifier l’usage des différents outils existants et leur interrelation potentielle. Cependant, il apparait au travers des résultats de la dernière conférence de Budapest, qu’il « faut commencer par le commencement » et que la coopération entre autorités nationales et partenaires sociaux est un préalable nécessaire, si nous considérons que l’objectif ultime est le succès de la « société de la connaissance »

Francis Petel
Francis Petel
Professeur affilié à ESCP Europe